Peter Pan et la génération qui refuse de grandir

Bienvenue dans l'ère de l'adulte éternel, cette créature fascinante qui a découvert le secret de l'immortalité émotionnelle...

Observez bien la prochaine fois que vous serez dans les transports publics. Cette femme de quarante ans qui caresse tendrement son porte-clés Stitch, cet homme en costume-cravate qui scrolle sur son feed Instagram rempli de mèmes Disney, cette trentenaire qui organise une « soirée pyjama Harry Potter » pour son anniversaire. Bienvenue dans l’ère de l’adulte éternel, cette créature fascinante qui a découvert le secret de l’immortalité émotionnelle : ne jamais quitter le pays imaginaire.

J.M. Barrie avait-il prévu, en créant son Peter Pan, qu’il offrirait le manuel de survie d’une génération entière ? Ce garçon qui refuse obstinément de grandir n’est plus un personnage de fiction, c’est devenu un modèle de société (heureusement pas généralisé). Et franchement, qui pourrait l’en blâmer ?

Quand la littérature devient prophétie

Barrie, ce génie involontaire, avait tout compris avant tout le monde. En 1904, il dessine déjà le portrait-robot de l’adulte contemporain : quelqu’un qui préfère voler vers le pays imaginaire plutôt que d’affronter les factures, les responsabilités et cette chose terrifiante qu’on appelle « faire des choix définitifs ».

Dans son œuvre, Peter Pan n’est pas vraiment un héros sympathique. C’est un narcissique qui oublie ses amis dès qu’ils ne l’amusent plus, un éternel adolescent incapable d’engagement. Mais Disney, dans sa sagesse marketing infinie, en a fait un aventurier charmant. Cette transformation n’est pas un hasard : elle reflète notre capacité collective à édulcorer ce qui nous dérange pour ne garder que le sucré.

Un écriteau dans un parc Disney

Le pays imaginaire de Barrie ? C’est Netflix, Instagram et Amazon réunis. Un endroit où l’on peut être pirate le matin, indien l’après-midi (pardon, « amérindien »), et sirène le soir, sans jamais avoir à assumer les conséquences de ses actes. Un monde où l’on peut claquer des doigts pour que la fée Clochette – pardon, l’algorithme – nous apporte exactement ce dont nous avons envie, quand nous en avons envie.

L’art subtil de rester petit

Alors, parlons peu mais parlons bien : cette fameuse « infantilisation » dont tout le monde parle, à quoi ressemble-t-elle concrètement ? D’abord, il y a les signes extérieurs de richesse émotionnelle. La peluche sur le bureau (anti-stress, voyez-vous), la collection de figurines (investissement culturel, évidemment), et cette manie de transformer n’importe quel anniversaire en reconstitution de goûter d’anniversaire de CE2.

Mais ne soyons pas injustes. Dans un monde où l’on vous demande d’être rentable dès le réveil et épanoui jusqu’au coucher, où chaque interaction sociale doit être optimisée et chaque moment de repos justifié, ces petites régressions ont quelque chose de touchant. Elles sont les pansements colorés sur les bobos d’une société qui marche à cent à l’heure vers nulle part.

Une lumière avec Peter Pan et la fee Clochette

Le problème, c’est quand le pansement devient la jambe. Quand l’exception devient la règle et que l’évitement du conflit se transforme en mode de vie. Les fameux « safe spaces », initialement conçus pour protéger les plus vulnérables, se multiplient comme des champignons après la pluie. Bientôt, il faudra des zones de protection contre les opinions différentes, les débats contradictoires et – horreur suprême – les gens qui ne sont pas d’accord avec nous.

Car voyez-vous, grandir, c’est accepter que le monde soit imparfait, que les autres pensent différemment et que parfois, on a tort. Trois révélations particulièrement traumatisantes pour qui a grandi dans l’idée que son opinion valait celle de n’importe qui d’autre et que ses émotions étaient des arguments.

Quand la société fabrique ses propres Peter Pan

Cette infantilisation générale ne tombe pas du ciel. Elle est le produit d’un système qui a transformé l’impatience en vertu et la frustration en pathologie. Nous vivons dans l’ère du « tout, tout de suite, et surtout sans effort ». Cliquer, recevoir, consommer, jeter, recommencer. Le délai entre le désir et sa satisfaction s’est réduit au temps d’un clic, et notre capacité à tolérer l’attente a fondu comme neige au soleil.

Ajoutez à cela une surinformation permanente qui transforme chaque choix en dilemme existentiel. Choisir un yaourt au supermarché nécessite désormais une expertise en nutrition, écologie, éthique animale et géopolitique. Pas étonnant que beaucoup préfèrent s’en remettre aux influenceurs, ces nouveaux parents numériques qui pensent pour eux.

L’éducation « positive » sans limites, analysée avec une précision chirurgicale par Léna Rey dans « Déwox », a également sa part de responsabilité. Quand on élève des enfants dans l’idée qu’ils sont parfaits tels qu’ils sont et qu’il ne faut surtout pas les contrarier, on ne forme pas des adultes épanouis, on fabrique des Peter Pan en puissance. Des êtres incapables de supporter la moindre contrariété et persuadés que le monde leur doit satisfaction.

Et puis, il y a cette peur panique de l’échec qui caractérise notre époque. Dans une société de performance où chaque faux pas est potentiellement immortalisé sur les réseaux sociaux, beaucoup préfèrent ne pas jouer plutôt que de risquer de perdre. Mieux vaut rester dans la posture confortable de l’éternel apprenant que d’affronter les responsabilités de l’expert.

Une femme tient le livre de Peter Pan

Pourtant, grandir a ses charmes, même si le marketing ne nous en parle jamais. L’adulte mature peut supporter les contradictions, naviguer dans la complexité et – luxe suprême – changer d’avis sans que ce soit une crise identitaire. Il peut même, tenez-vous bien, s’ennuyer sans chercher immédiatement une distraction.

L’ironie de Peter Pan, c’est qu’en refusant de grandir, il se condamne à la solitude. Tous ses amis finissent par partir, par évoluer, par construire des vies adultes. Lui reste figé dans son pays imaginaire, éternellement jeune mais définitivement seul.

Notre génération court le même risque. À force de fuir les responsabilités, elle risque de se retrouver spectatrice de sa propre existence, consommatrice de vies virtuelles plutôt qu’actrice de sa propre histoire. Alors oui, gardons notre capacité d’émerveillement, nos moments de légèreté et notre droit à la fantaisie. Mais n’oublions pas que la vraie liberté, ce n’est pas de pouvoir voler vers le pays imaginaire, c’est de pouvoir choisir d’y aller ou d’en revenir.

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@Litt.et.ratures

Une étudiante passionnée par les lettres et la philosophie, pour qui la remise en question et la bienveillance sont des valeurs fondamentales. Comme tout un chacun, elle est confrontée à différentes opinions, collectées auprès des proches, dans les livres, dans les médias, au quotidien. @Litt.et.ratures, c’est également un compte dédié aux écrits ainsi qu’à un partage d’idées, de pensées, parfois divergentes, mais qui suscitent au moins une réflexion.
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