Félicitations ! Vous vivez à l’époque la plus pathologique de l’histoire de l’humanité. Jamais nos ancêtres n’avaient eu autant de chance d’attraper autant de syndromes différents, et le meilleur dans tout cela reste que vous pouvez désormais collectionner les troubles mentaux comme des cartes Pokémon.
Mais attention, il existe un syndrome qu’on ne vous révèle jamais et que vous avez probablement tous attrapé sans le savoir. Bienvenue dans l’univers merveilleux du syndrome de Münchhausen collectif, cette maladie singulière qui consiste à se prendre constamment pour malade. Rassurez-vous, c’est devenu extraordinairement tendance.
Signe n°1 : Vous êtes devenu votre propre diagnostic ambulant
Vous ne dites plus simplement « je suis timide » mais vous annoncez gravement « j’ai une anxiété sociale ». Vous ne traversez plus une période difficile, vous « faites un burn-out » avec toute la solennité que mérite cette pathologie moderne. Même votre ennui chronique au bureau a trouvé son nom savant et respectable dans le vocabulaire contemporain : le bore-out.
Cette transformation sémantique n’a pourtant rien d’innocent ni de gratuit. Elle s’appuie sur une réalité troublante documentée par les chercheurs : le nombre de troubles mentaux recensés dans le Manuel diagnostique et statistique (DSM) est passé de 60 dans les années 1950 à plus de 300 aujourd’hui. Cette inflation diagnostique révèle notre obsession contemporaine pour la médicalisation de l’existence ordinaire.
Quand vous déclarez « je suis paresseux », vous vous exposez immédiatement aux critiques et aux jugements moraux. En revanche, lorsque vous annoncez « je souffre d’un trouble de l’attention », vous vous garantissez instantanément la compassion universelle et l’indulgence générale. La stratégie s’avère remarquablement efficace et socialement rentable.

Signe n°2 : Vous participez aux concours de souffrance numériques
Vos stories Instagram débordent systématiquement de citations inspirantes sur la « santé mentale », et vous collectionnez les rendez-vous avec votre psychologue comme d’autres collectionnent passionnément les timbres rares. Instagram et TikTok ont créé de véritables compétitions de la détresse où il faut alimenter constamment sa propre souffrance pour exister socialement.
Les chiffres sont édifiants : selon le Pew Research Center, 34% des jeunes de 13 à 17 ans recherchent activement des informations sur la santé mentale sur ces plateformes. Plus troublant encore, une étude d’Amnesty International révèle que les utilisateurs vulnérables de TikTok reçoivent « jusqu’à 12 fois plus de contenus mortifères et 3 fois plus de contenus nuisibles » que les autres .
Comme l’explique avec une remarquable clairvoyance Léna Rey dans « Déwox« , nous assistons effectivement à l’émergence d’un « syndrome collectif de Münchhausen » où chacun cherche activement « à attirer l’attention, la compassion et l’empathie en affichant son statut de prétendue victime ». Plus besoin de mentir effrontément sur vos symptômes comme le faisait le baron fantasque, il suffit intelligemment de transformer vos faiblesses ordinaires en troubles extraordinaires.
Dans cette économie moderne de l’attention permanente, être malade rapporte infiniment plus qu’être heureux. Qui s’intéresse réellement à quelqu’un qui va parfaitement bien ? Personne. Qui compatit sincèrement avec quelqu’un qui souffre d’un syndrome rare et complexe ? Absolument tout le monde.

Signe n°3 : Vous avez une excuse thérapeutique pour tout
« Je ne peux pas faire cette présentation, j’ai de l’anxiété sociale. » « Impossible de ranger ma chambre, c’est à cause de ma dépression. » Le symptôme le plus révélateur demeure celui-ci : vous trouvez désormais profondément louche quelqu’un qui ne consulte personne, ne suit aucune thérapie particulière, et ne présente aucun trouble officiellement répertorié. Les données de l’Assurance maladie française sont édifiantes : entre janvier et avril 2021, le nombre de nouveaux patients sous antidépresseurs, anxiolytiques et hypnotiques a augmenté de 15 à 26% par rapport aux projections. Cette explosion correspond exactement à la période où le vocabulaire thérapeutique s’est démocratisé massivement.
Et paradoxalement, vous avez entièrement raison de trouver cela suspect ! Dans un monde où 300 troubles mentaux différents nous guettent quotidiennement selon le manuel psychiatrique américain, être parfaitement normal relève effectivement du miracle médical le plus improbable. Comme l’analyse Léna Rey, ces comportements « procurent certains avantages comme l’attention accrue, la protection qui va apaiser l’anxiété et la réduction des attentes ».
Le remède ? Accepter d’être ordinairement humain
Voici une idée véritablement révolutionnaire pour notre époque. Et si nous cessions définitivement de pathologiser chaque émotion naturelle, chaque difficulté passagère, chaque petite bizarrerie personnelle ? Et si nous acceptions simplement d’être tristement humains plutôt que brillamment malades ?
Nos ancêtres s’ennuyaient profondément sans développer de « bore-out ». Ils échouaient lamentablement sans invoquer un « syndrome de l’échec ». Ils traversaient des périodes mélancoliques sans diagnostiquer un « trouble de l’humeur ». Peut-être étaient-ils tout simplement et magnifiquement normaux ?
Car accepter nos faiblesses ordinaires, nos tristesses passagères et nos angoisses légitimes sans les médicaliser, c’est retrouver notre humanité pleine. C’est reconnaître que la vie comporte naturellement son lot d’inconfort sans que cela nécessite un diagnostic officiel.
Une étude de l’université de Bath a d’ailleurs démontré que les personnes qui arrêtent d’utiliser les réseaux sociaux pendant une semaine montrent des « améliorations significatives en termes de bien-être, de dépression et d’anxiété« . Cela suggère que nombre de nos « pathologies » actuelles relèvent davantage d’habitudes toxiques que de véritables troubles cliniques.