J’ai toujours eu envie d’écrire.
Envie ? Non, non, plus qu’une envie, je dois écrire, coucher mes pensées, mes idées, sur le papier. J’ai un besoin viscéral d’aligner des mots pour me retrouver, apprendre à me connaitre, me poser. Pour moi, écrire c’est respirer, se nourrir, aimer, s’émouvoir, se recueillir, s’épancher, se regarder dans le miroir, observer le monde et les sociétés, s’intéresser aux gens et à leurs multiples interactions complexes et parfois étranges. Écrire, c’est vivre.
Alors pourquoi devrais-je me justifier d’écrire, ou encore de vouloir le partager ? J’avoue que c’est un sentiment qui ne me concerne guère, mais apparemment le sujet questionne, inquiète et fait couler de l’ancre.
J’ai toujours eu l’habitude de prendre ma place, sans rien demander à personne. Je me fiche de la validation de qui que ce soit, d’un regard parfois outré lorsque je m’installe à la table de réunion, seule femme parmi de nombreux hommes. Jamais je ne me suis jamais offusquée d’un sourire en coin, moqueur, ou d’un air à ne pas y croire. Je me suis toujours sentie légitime pour faire ce que je dois, pour être qui je suis. Personne mieux que moi ne sait où se trouve ma place et si cela gêne, choque, dérange, peu importe, ces ressentis ne sont pas les miens.
Alors pourquoi tant d’autres éprouvent-ils ce besoin de reconnaissance et espèrent-ils un signe, une validation avant de se lancer pour de bon ? Je n’ai pas encore compris, mais j’ai tenté de mettre de l’ordre dans ces idées-là pour y voir plus clair. Après analyse, je dois confirmer ma raison de ne pas m’en faire pour cette légitimité. Chacun devrait se sentir légitime pour faire ce qu’il doit et même ce qu’il veut, sans attendre l’aval d’autrui.
Se sentir légitime pour écrire
En littérature, comme dans de nombreux domaines, il est question de se sentir autorisé à, capable d’exercer. La compétence doit impérativement être reconnue d’une façon ou de l’autre.

Autant il m’est aisé de comprendre cette nécessité pour la médecine, l’ingénierie civile, ou la conduite, le pilotage, puisque cela implique directement la vie des autres, autant je m’interroge au sujet des disciplines artistiques, sportives et récréatives. De mon point de vue, on est toujours légitime de faire ce que l’on doit faire. Bon nombre d’activités nous appellent, pourquoi devrions-nous décliner l’invitation ? Parce qu’on n’a pas le niveau ? Pas d’expérience ? Parce que nous ne sommes pas professionnels ? Parce qu’on n’est pas reconnu ?
Si l’on ne s’offusque pas du football amateur pour lequel on organise des championnats à l’image des grands, pourquoi devrions-nous nous offusquer des écrivains novices qui se présentent en tant qu’auteurs ? Le footballeur amateur est déjà un footballeur, puisqu’il s’agit de pratiquer le football. C’est bien le terme adéquat. Il me semble qu’il est tout aussi péniblede suivre un match amateur que de lire une œuvre maladroite. On entendra dire des premiers qu’ils débutent, qu’ils doivent acquérir de la bouteille et qu’il est normal de les voir évoluer à ce niveau. J’aimerais qu’on puisse tolérer la même attitude pour les écrivains en herbe.
Ce n’est pas parce qu’on n’a pas le diplôme académique qu’on ne peut pas peindre, coudre, participer à des marathons ou faire du vélo. Ce n’est pas parce qu’on chante faux, qu’on doit s’en abstenir, même s’il est préférable de s’y adonner sous la douche. Le plaisir, la plénitude que ces activités génèrent sont librement accessibles à tous. Si vous n’êtes pas d’accord, achetez des Boules quies.
Alors que dans le sport, la notion d’amateurisme est largement répandue, dans les arts, les débutants qui se revendiquent endossent rapidement une étiquette d’arrogants, de prétentieux. Comme si l’entrainement physique était ouvert à tous, alors que le cérébral non.
Mais pour qui se prend-il ? Ne devrait-il pas observer plus de modestie ? C’est très moche ce qu’il fait.
Personnellement, je considère plutôt les critiqueurs comme bien trop culotés. D’ailleurs qui sont-ils pour pouvoir jauger de la sorte ? En général, un jury est composé de personnes averties, reconnues dans la profession. À mon sens, si le pratiquant a bien le droit de débuter (c’est même la première des conditions), les juges, quant à eux, doivent être experts, sinon leur place est discutable. Dans cette comparaison, le lecteur est pour moi le spectateur. Il peut supporter ou huer, mais en aucun cas son commentaire aura valeur de note.
La légitimité ne devrait pas être un sentiment, mais un droit acquis.
Utiliser le vocabulaire adéquat
Lorsqu’on souhaite se positionner sur un sujet, il est important d’en définir les termes. La langue française est magnifique, riche. Elle offre de nombreuses opportunités à apporter de la nuance à nos propos. Usons-en.
J’entends ou je lis régulièrement des discours qui me questionnent :
Il se dit écrivain, alors qu’il n’est même pas publié. Comment ose-t-elle se présenter comme auteure alors qu’elle pratique l’auto-édition ? Encore un qui se prend pour un génie des motsalors qu’il n’a pas d’éditeur !
En écrivant mon quotidien, je ne m’étais pas aperçue que mes mots déchainés ne faisaient pas de moi leur auteur. Qui sont ces gens pour supporter de telles affirmations et sur quoi s’appuient-ils ?
J’ai cherché, juxtaposé mes idées à celles-là et vous propose dès lors mon petit lexique.
Auteur
Voici un terme on ne peut plus vaste. Être l’auteur, c’est être l’acteur de ce que l’on fait, en être responsable. On peut être l’auteur d’un tableau, d’une composition musicale, d’un très beau tir au but, mais aussi d’une bêtise ou d’un crime. Si l’on écrit un texte, on en est forcément l’auteur, bon ou mauvais, sensible ou brutal. Je ne comprends même pas qu’on puisse s’offusquer de quelqu’un qui s’autoproclame l’auteur de ses mots. Cette personne ne fait que reconnaitre son acte. Je trouve d’ailleurs cette revendication plutôt courageuse, très loin de l’arrogance citée plus haut. Avouer son écriture, c’est se mettre à nu, s’exposer, se donner. Je n’y vois que de la bravoure.
Écrivain
Se dit de celui qui écrit. La racine du mot ne trompe pas, il n’y est pas question d’une quelconque qualité à définir. Avec l’évolution de la langue, et sa précision, on envisage pour un écrivain de vivre de sa plume, ou au moins de pratiquer cette activité assortie d’une dimension intellectuelle et artistique. À mon sens, être écrivain ne signifie pas forcément être reconnu, car de l’écriture à la reconnaissance il existe un cheminement long et sinueux.
Un écrivain peut parfaitement refuser d’être publié, par simple désintérêt de la démarche. Décider d’écrire, d’y travailler et de se perfectionner n’implique pas de vouloir atteindre la notoriété. Il est préférable d’écrire par envie ou par besoin, plutôt que d’écrire dans le seul but de se voir éditer.
Protéger son projet
J’ai lu quelque part que pour se qualifier d’auteur, il faut au moins protéger son œuvre, comme si la nuance se trouvait là. Quoi de plus absurde ?Protéger sa création n’est qu’une étape dans un processus, même pas obligatoire qui plus est. Il suffit d’envoyer son manuscrit à n’importe qui, même à soi, et l’affaire est bouclée.
Publier son livre
Voici venue l’envie de se partager, de faire lire ses textes aux autres. Il y a mille façons de publier son livre, c’est relativement simple et à la portée de tous, pas forcément onéreux si on opte pour la version numérique. Je l’ai fait, et c’est quelque chose d’assez incroyable.

Faire éditer son œuvre
Par contre, trouver un éditeur, celui à compte d’éditeur, qui croit en vous et en votre texte, c’est plus compliqué. Il va tout investir pour vous, le choix n’est pas des plus faciles au vu de la masse de manuscrits qu’il reçoit chaque mois. Les places sont rares, il faut impérativement s’armer de patience, de persévérance et poursuivre son travail de correction et de réécriture. Le but est d’atteindre le texte parfait, celui qui coule de source, fluide, cohérent, sans accrochesou anachronismes, celui qui vous fait vibrer quand vous le relisez.
Un texte approximatif et maladroit ne sera jamais retenu même si l’idée est originale et pourrait plaire. Les idées originales pleuvent dans les maisons d’édition. Une œuvre candidate à l’édition, pour autant qu’elle ne soit pas déjà reconnue ailleurs, doit cocher toutes les cases : singularité, créativité, audace, qualité d’écriture, style, orthographe, syntaxe, grammaire et richesse. Elle doit aussi correspondre à la ligne éditoriale. Voici une notion particulière avec laquelle il n’est pas simple de composer.
La ligne éditoriale est le reflet, la signature de la maison d’édition, un courant de pensée, une conduite à observer. Elle est en réalité très personnelle, peu évidente à définir exactement, même si certaines s’affirment clairement dans une orientation précise. Elle est aussi à géométrie variable, en fonction du temps et des préoccupations du moment et des tendances.
La reconnaissance
Cette fois, on y est, nous sommes parvenus à décrocher le Graal, notre premier roman est paru. Notre éditeur, motivé et bienveillant s’occupe de la com., organise la distribution. C’est ici qu’on se rend compte de l’essentiel : tout reste à faire. Et pourtant, nous n’avons plus aucun pouvoir sur la suite. Nous avons abandonné notre œuvre au regard avide des lecteurs. C’est à eux que revient ce rôle crucial d’accorder ou non leur reconnaissance.
Mais avant de pouvoir se faire reconnaitre, il faut surtout se faire connaitre, et cela peut prendre du temps, beaucoup de temps. Il ne faut pas hésiter à multiplier les actions, les annonces, les présentations. Il est toujours plus compliqué de se vendre soi-même. Gagner un éditeur, c’est se prouver la valeur de son travail, car il suscite l’envie de le porter. Le succès arrive rarement du jour au lendemain. Et voici une nouvelle étape de patience et de persévérance. Alors courage !
Participer à un concours, remporter un prix
Publié ou non, il existe un nombre important de concours de textes et de prix. Tout le monde peut participer à la plupart d’entre eux. Il est important de lire le règlement et de vérifier si notre projet correspond bien à tous les critères. Certains sont payants, d’autres suivent une thématique précise. Être lauréat, obtenir un prix est une façon de se faire connaitre et reconnaitre. Mais comme souvent, seul le talent ne suffit pas. Remporter un concours arrive rarement lors d’une première participation. Il est intéressant de fréquenter le milieu, de s’y essayer de nombreuses fois et de ne pas avoir peur de s’y gaspiller.C’est un très bon entrainement.
Devenir best-seller
Voici une notion qui m’a toujours posé question. Pour moi, un best-seller est la meilleure vente dans un registre donné sur une saison bien précise.Mais ce n’est pas tout à fait le cas. Il s’agit plutôt d’atteindre un nombre d’exemplaires vendus, de vingt à cinquante-mille en France ou de cent-mille aux États-Unis. Bref,les best-sellers peuvent être nombreux et variés.
Certaines maisons établissent leur propre classement, démontrant ainsi leur orientation sur les résultats et leur recours à la compétition. Les grandes enseignes comme la Fnac ou Amazon affichent leur top 10 ou 100, comme un hit-parade. C’est dire que la notion de best-seller est vaste et pas pour autant gage de qualité. Publier un best-seller signifie simplement avoir de bonnes ventes. Ce qui plait le plus n’est pas forcément le meilleur. Il suffit de voir les chiffres de Mc Do.
Acquérir de la maturité, de l’expérience, un savoir–faire
C’est le chemin qui importe et pas le résultat. C’est mon point de vue pour l’écriture. Si l’objectif est de bien vendre, alors il peut attendre. Il arrivera peut-être un jour ou peut-être pas. Cette reconnaissance vers laquelle nous tendons tous nous échappe et ne nous appartient pas. Rien ne sert de s’obstiner, la quête est vaine.
J’ai appris à puiser mon énergie dans le perfectionnement, tout en gardant bien en tête que l’absolu n’existe pas. S’il est important d’y travailler, il est aussi vital de savoir qu’on n’y parviendra pas. Il faut avant tout se faire plaisir dans la tâche qui est de longue haleine, c’est un plaisir qui dure, c’est un plaisir à la dure.
Le bonheur de la victoire, quand il survient, est de courte durée. Une œuvre humaine ne pourra jamais être parfaite. Ce sont ses failles, ses faiblesses, ses imperfections qui lui donneront sa profondeur et sa sincérité, justement.
Puisqu’il est important d’y prendre plaisir, autant considérer l’écriture comme un jeu aux règles complexes. Il est nécessaire de le pratiquer à répétition pour gagner en maturité. Il est important de s’entrainer, de se remettre en question, de changer d’angle de vue et de poser l’antithèse à chaque thèse. Voici quelques parties auxquelles je m’adonne lors de mes écritures.
Chercher le mot exact
Vous l’avez déjà remarqué, il suffit de changer une virgule, un mot, et la phrase change de sens. C’est ainsi qu’elle finit par prendre toute son ampleur, d’ailleurs, couler de source, devenir limpide, évidente. Il suffit parfois de remplacer un adjectif par son substantif, modifier la syntaxe en fonction de ce nouveau choix et c’est le relief qui se dessine. Essayez ! Vous verrez, c’est magique.
Le choix d’un autre mot implique parfois d’en changer d’autres, pour éviter les répétitions notamment ; c’est tout un paragraphe qui se métamorphose avec volupté. N’hésitez pas à jouer avec les mots, faites leur prendre des risques, le résultat est parfois surprenant. Les dictionnaires de synonymes sont riches et les IA, parfois, si le prompt est bien posé, vous proposent quelques pistes intéressantes. Ne demandez jamais à une intelligence artificielle d’écrire votre texte à votre place, vous serez déçu. Par contre, questionnez-la, réclamez-lui de formuler votre phrase, votre définition en un seul mot. Bref, jouez et soyez curieux.
L’importance de la correction
Parfois, je lis, sur les groupes dédiés, de nombreux auteurs qui cherchent un correcteur. Je comprends parfaitement la démarche, car la correction est une étape importante, primordiale, mais il me semble plus opportun de la pratiquer soi-même. Je n’étais pas très douée en orthographe, d’ailleurs aujourd’hui je m’y concentre encore beaucoup, mais se prendre au jeu de la correction est un réel atout pour votre texte.
Personne mieux que vous ne saurait apporter la correction judicieuse, car vous êtes le seul à maitriser la substance de vos mots. Vous vivez votre texte de l’intérieur. Il s’exprime également par les non-dits et c’est souvent là que les réponses se trouvent. Puisque je ne suis pas la meilleure en orthographe et que je préfère l’autocorrection, j’utilise de nombreux outils. N’hésitez pas à être inventifs et à dépasser les limites de vos correcteurs favoris, à les confronter, à les pousser au bord du gouffre. Corriger son texte permet de le lire autrement, ouvre de nouvelles portes, suggère d’autres idées parfois indispensables.
Mes outils sont Word, Docs, Antidote (tous les filtres, pas que l’orthographe), ChatGPT et quelques dictionnaires en ligne ou sites de synonymes. Je m’enregistre et m’écoute en voiture, je sollicite la lecture automatique avec des voix différentes (c’est plus fun, mais c’est aussi incroyable comme une voix porte les mots de façon unique — entendre autrement met le doigt sur de nouvelles imperfections). Bref, tout est bon pour sauter les barrières, réfléchir à son texte et aux mots choisis. Je passe autant de temps à écrire qu’à corriger, c’est important.Je m’y amuse comme une folle et m’émerveille devant les surprises régulières.
La cohérence et la chronologie
La relecture est également essentielle pour traquer les erreursde scénario, les anachronismes. Aidez-vous d’un plan dans lequel vous notez la ligne du temps, les jalons majeurs de votre histoire, mais pas que. Les récits complexes demandent de bien connaitre ses personnages, leurs traits de caractère, leurs affections et leurs haines ; mais aussi les lieux, leurs particularités, les atmosphères.
Il m’est arrivé de pousser un de mes protagonistes tout à fait rasé dans une prison et de le voir ressortir, trois jours plus tard, doté d’une chevelure soyeuse. Ça ne va pas, il faut rester attentif. Je dessine régulièrement le plan des villes, ou même le plan d’une grotte, avec la rose des vents pour être certaine que le soleil se lève au bon endroit le jour J. C’est toujours malvenu de décrire les couleurs d’automne alors que nous sommes déjà en février, mais cela peut arriver et il faut le débusquer.

Pour conclure sur la légitimité
Si je résume, on sera toujours l’auteur de ses textes. On pourra devenir écrivain si l’on en fait une activité privilégiée, que ce soit dans son cœur, dans le temps ou dans la société. Jusque-là, c’est nous qui choisissons, pas les autres. On décidera de protéger son œuvre par un acte d’envoi ou sur un site officiel, payant ou gratuit. Tout existe. On le fera surtout par crainte de vol ou de plagiat, ne sait-on jamais. Enfin, si l’on envisage de se partager, un panel incroyable s’offre à nous.
Les différents types de maisons d’édition foisonnent et les services d’aide, d’encadrement se déclinent à l’infini. De nos jours, on trouve des coachs et des ateliers pour tout. D’ailleurs entre l’arnaque, le profit, l’amour des mots et la bienveillance, il y a de quoi s’y perdre parmi les propositions.
L’auto-édition est la meilleure façon de tout gérer et de garder la main sur chaque étape. Elle représente un choix et non une porte de sortie après de trop nombreux refus. Un refus d’édition ne juge en rien la qualité de l’œuvre. Les critères de sélection sont nombreux, avant même de se voir lu par un comité de lecture. Et enfin, sans trop savoir comment cela arrive, il y a la reconnaissance du public. Elle est d’échelle variable : mesurée ou déraisonnable.
Pour cette dernière étape, je vous le rappelle, l’auteur n’y est pour rien, c’est le public qui décide. Alors, dire qu’un auteur l’est valablement une fois qu’il est reconnu est un leurre, car il n’en est pas du tout responsable, quels que soient sa bonne volonté et son travail acharné. Écrire pour obtenir la reconnaissance est une chimère, certains s’y usent jusqu’au cortex.
Si un jour je suis reconnue, je pourrai ajouter à ceci que le succès est au bout du chemin pour celui qui prend plaisir à écrire. J’y crois.