Tous ceux qui écrivent ont un jour connu le syndrome de la page blanche, aussi connu sous le nom de leucosélophobie. Mais cette page qui repousse les mots est peut-être le moyen de trouver les bons…
Vous voulez écrire. Vous savez écrire, vous l’avez déjà fait. L’histoire est là, dans votre tête, les personnages vivants, l’intrigue construite. Vous avez le début, vous avez la fin. Peut-être même avez-vous développé un synopsis, dont vous savez d’expérience que vous ne le suivrez pas. Mais il est là, près de vous. Rassurant. Vous tenez votre roman. Mais avant de le publier, il reste encore à l’écrire.
Seulement voilà : la page blanche, ou plus vraisemblablement l’écran, ne veut pas de vos mots. Il les repousse, tels les deux mêmes pôles d’un aimant. Les protagonistes, que vous pensiez si bien maîtriser, se dérobent. Pas moyen de leur faire faire sur le papier ce qui est pourtant si clair dans votre esprit. Si clair ? Pas tant que ça finalement…
Des idées plein la tête
L’héroïne doit-elle vraiment s’appeler Rose ? A la réflexion, c’est ringard, Rose. Trop anglais ? Pas adapté ? Et puis cela correspond-il avec son physique ? A son âge ? Quand est-elle née, déjà ? N’est-elle pas trop vieille -ou trop jeune- pour le rôle que vous voulez lui faire jouer ? A-t-elle des parents ? Des amis ? Des enfants ? Non, elle est trop jeune pour avoir déjà des enfants, ou alors il faudrait qu’elle les ait eu très tôt mais alors là ça ne cadre pas avec … STOP ! Pendant tout ce temps où vous êtes là à tergiverser, pas un mot ne s’inscrit sur votre écran ou votre page. C’est le blanc. A partir du moment où vous avez laissé le doute s’insinuer, c’est le blanc.

Votre écran vous regarde, et vous le regardez.
Mon histoire est-elle originale, vous demandez-vous. C’est un peu déjà vu, non ? Cliché ? Pas très intéressant finalement, ai-je vraiment quelque chose à dire qui va intéresser le lecteur ? Quelque chose de différent ? A ce stade, vous avez l’impression que tout a déjà été dit, tout a déjà été inventé, tout a déjà été écrit… qu’allez-vous apporter de plus ? Vous vous sentez réfrigéré. Tétanisé.
Votre écran vous regarde, et vous le regardez.
« L’inquiétude détruit la capacité d’écrire », disait Hemingway, lui-même souvent sujet au syndrome de la feuille blanche. Alors éradiquez-la ! Mieux, sublimez-la ! Un air de déjà vu ? De l’inspiration ! Un personnage décalé ? De l’originalité. Une phrase qui vous rappelle quelque-chose ? De la culture générale. Oui, tout a déjà été dit, vu, écrit, les romans tournent toujours autour des mêmes thèmes pour une raison simple : les êtres sont ce qu’ils sont, et ce sont toujours les mêmes moteurs qui les font bouger, les mêmes motivations qui les font se dépasser, les mêmes blessures qui les font renaître et avancer.
Votre écran vous regarde et vous le regardez.
A ce stade, de plusieurs choses l’une :

Soit vous allez faire un tour. Comme l’appétit vient en mangeant, l’inspiration vient en marchant. Pourquoi ? Parce qu’en changeant d’air, vous allez vous nourrir du monde extérieur. Un brin d’herbe, un oiseau, une sirène de pompiers, quelques bribes de conversation peuvent générer le déclic qui fera qu’une fois rentré, vous aurez la peau de votre écran blanc. D’ailleurs, si ce déclic arrive, vous en êtes le premier informé, mû d’une envie irrésistible d’aller le retrouver.
Soit vous prenez un stylo bien vintage et un papier agréable au toucher et vous écrivez… n’importe quoi, vous écrivez juste pour réveiller vos sens. Le toucher, le bruit de la plume, l’odeur de l’encre vont stimuler votre cerveau et réveiller la belle histoire qui sommeille en vous.
Dans le même esprit, vous pouvez écrire sur un support inapproprié : un rouleau de papier toilette, un sac de courses, un torchon de cuisine, votre main… Surpris par l’incongruité de ce que vous êtes en train de faire, votre esprit va se focaliser dessus et relâcher la pression que vous vous mettez quand vous séchez.


D’une manière plus radicale, vous pouvez changer de crèmerie. Sortir de votre bureau ou de la pièce dans laquelle vous écrivez et emporter votre page ou votre écran toujours obstinément blancs dans un endroit inattendu : une cour d’école, un bar à motards, les toilettes d’un palace… autant de lieux qui changeront votre état d’esprit et permettront de vous débloquer.
La leucosélophobie a touché les plus grands auteurs
Dites- vous que c’est arrivé aux plus grands : Joseph Mitchell , un écrivain du New Yorker, a été frappé du syndrome de la page blanche en 1964 et a passé les 30 années suivantes à s’asseoir devant sa machine à écrire sans rien écrire. La poétesse et satiriste Dorothy Parker disait à qui voulait l’entendre : « Je déteste écrire ; j’aime avoir écrit » La romancière Ann Patchett ironisait quant à elle, lorsqu’elle était soumise aux affres de la page blanche, que sa muse était sortie fumer. Stephen King, lui, ne jurait que par le fait d’aller faire un tour : « Les amateurs s’assoient et attendent l’inspiration, les autres se lèvent et se mettent au travail ». Pour ma part, je serais assez encline à le croire.
Si malgré tout votre écran continue de vous narguer, vous pouvez : pousser le chat que dort sur le clavier -peut-être auriez-vous dû commencer par là-, vous faire un chocolat chaud, danser la zumba, lancer quelques incantations à Calliope, dessiner un mouton… et s’il n’en sort rien, c’est peut-être que vous n’êtes pas mûr.
Un roman est prêt quand il n’y a plus qu’à l’écrire. Peut-être n’est-ce pas encore le cas, et même si ça l’est, n’oubliez jamais cette parole d’Hemingway (décidément, il connaissait le sujet): « La première ébauche de quoi que ce soit est de la merde ». Alors ne soyez pas trop dur avec vous-même, couvrez vos pages et vos écrans sans vous torturer, écrivez, jetez, réécrivez, élaguez, écrivez encore… Et une fois que vous êtes prêts à partager votre manuscrit, faites attention à éviter ces 10 erreurs courantes.
Votre écran vous regarde ? Souriez et écrivez.