La question interdite — une œuvre universelle

Un des vecteurs les plus porteurs dans les médias est le storytelling. Relater des faits, c’est bien, vous les faire vivre, c'est mieux...

Écrit et publié par Valérie Gans en 2023, voici un texte riche, dense et percutant. Il est tellement criant de vérité qu’il s’est vu censuré. Ce fut l’occasion inespérée pour l’auteur de rebondir et de fonder Une autre voix, une maison d’édition qui ose s’affranchir des dogmes, appeler un chat, un chat et qui recentre l’église dans le village. J’aime les langues franches et déliées, celles qui portent les voix. J’adore.

Ce propos est incroyable ! Il l’est tellement qu’il devient impossible de ne pas y croire !

Ne vous a-t-on pas appris qu’il fallait se méfier du sensationnel ? N’avez-vous pas intégré qu’il ne fallait pas croire ce que l’on qualifiait d’incroyable ? C’est l’essence même du mot incroyable. Il signifie qu’il ne faut pas y croire, c’est simple et basique. N’avez-vous pas noté que la réalité est toujours plus plate et lisse que ce qu’on imagine ? D’ailleurs, on s’y ennuie tellement qu’il devient vital de la recomposer. La vérité est tellement insipide qu’il est important d’user en exhausteur de gout.

Un des vecteurs les plus porteurs dans les médias est le storytelling. Relater des faits, c’est bien, vous les faire vivre comme si vous y étiez, c’est mieux. Rien de plus rentable que de vous raconter une histoire bien ficelée pour vous captiver. Il est important de vous tenir en haleine avec du croustillant, du palpitant, de l’inattendu, de l’incroyable. Le sensationnel a toujours eu la cote. Revendiquer la normalité, la banalité vous met au trou et il n’est pas nécessaire d’être journaliste.

Chacun de nous pourra le vérifier avec son entourage. Vous pouvez vous égosiller avec votre sincérité, tout le monde s’en moque. Les gens veulent du lourd, du dramatique, quelque chose qui les inspire pour qu’ils puissent le raconter en y ajoutant de nombreux détails plus grotesques encore. Plus c’est absurde et plus ça fonctionne. Vous lancez une info et la voisine l’a déjà colportée en réalité augmentée. Vous venez de vous confier d’un retard de règle et vous voilà enceinte de triplés de pères différents.

Vous considérez que j’exagère ? Absolument pas ! Ce que vous prenez comme argent comptant dépasse largement les limites. Les IA aidant, les pires fakenews ont aujourd’hui valeur de credo. Vous vous souvenez des Grecs et de leur terre plate ? Voilà. On y est.

D’ailleurs, j’ai un scoop, Donald Trump n’existe pas, il l’a annoncé hier en grande pompe.

La question est juste ! Elle l’est tellement qu’elle dérange au point de se voir museler !

La question interdite de Valérie Gans pourrait paraitre très caricaturale, j’ai presque envie de dire trop. Mais non, l’ouvrage est très simplement juste. Le penser trop serait me mentir, moi qui affectionne les textes tranchés, les reliefs et les contrastes qui révèlent l’idée.

La structure est magnifique, parfaite, intelligente, Adam, Shirin, et puis les deux. Les apparitions de Pauline sont calibrées, et puis un peu d’Irène partout, forcément.

Parfois, j’aurais aimé que le récit déborde de sa trajectoire, et permette de rencontrer des protagonistes d’un camp subalterne, parce qu’il en existe de toute évidence. Peut-être ce type qui aurait compris Adam, car lui aussi a gouté, une fois, à une ado. Ce n’est pas si grave et c’est tellement humain. Sans doute qu’Adam se serait senti encore plus mal, davantage pris au piège, puisqu’innocent. Et puis non, déborder c’est s’étendre, se diluer, perdre en force. Valérie Gans maitrise parfaitement son sujet, le mène exactement au bon endroit avec une intelligence fine et cela me plait.

Malédicte lit La Question Interdite de Valérie Gans

L’ouvrage me renvoie à certaines de mes expériences, sans avoir besoin nécessairement des réseaux sociaux, parce que les gens sont ainsi, de toute façon. Ils suivent cet avis général, nourri de préjugés et de certitudes à deux balles. C’est celui-là qui émeut, fait le buzz, crée la sensation quand on le colporte.

Architecte d’exécution, femme évoluant dans un monde d’hommes, je suis l’éternelle rivale auprès de la gent féminine, celle qui va systématiquement piquer le mec de toutes les femmes, indéfiniment. J’ai dit tous les mecs. Je représente la dangereuse, celle dont il faut se méfier à tout prix. 

Mais je m’en moque de vos mecs, mesdames. J’aime mon homme depuis 36 ans, 28 ans que nous sommes mariés et je compte bien passer mes vieux jours avec lui. N’en déplaise aux ragoteuses. Donc oui, c’est faux, si vous me posez la question interdite. Dans mon métier, ce ne sont pas les mecs qui m’intéressent, mais les chantiers, la construction, les machines, les outils, l’odeur du béton et du bois, le bitume d’une toiture plate en plein soleil. Évidemment, de cela, tout le monde s’en fiche.

Ce que le peuple veut, c’est la femme fatale, obsédée, avide et entreprenante. Personne ne croit en ma sincérité, en mon honnêteté, parce qu’il n’est pas pensable qu’une femme s’immisce ainsi dans un univers qui n’est pas le sien, si elle n’est pas obsédée par l’homme et ses attributs caractéristiques.

Les préjugés sont coriaces ! Ils le sont tellement qu’ils s’éternisent bien qu’ils soient achroniques, dépassés, hors propos !

L’amitié homme-femme n’existe pas

À force de l’entendre, on pourrait finir par le croire. Plus j’avance dans la vie, plus je constate que les préoccupations humaines sont sexuées. Le sexe est donc le maitre à penser, celui qui frustre par manque et qui obsède. Depuis qu’on a codifié les relations humaines, établi la bienséance du mariage hétéro, on a privé l’Homme de son essentielle nature : pratiquer le sexe librement et sans contrainte. Il est parfois amené à se battre pour l’obtenir.

Il faut avouer que c’est absurde. Il n’a plus le choix que de le fantasmer, car il n’a plus le droit de s’y adonner en dehors du cadre. Bien souvent, le cadre finit par le lasser. Je dois constater qu’aujourd’hui ce cadre est particulièrement étroit, puisqu’il est d’usage que les femmes condamnent sans distinction les hommes blancs d’âge honorable et restent célibataires. Effectivement, dans notre codification, l’amitié homme-femme n’existe pas. Le cadre la rend impossible, de plus en plus.  

Deux petits bonhommes (une femme et un homme) en plexis
Une belle femme avec de longs cheveux blonds

Les hommes préfèrent les blondes.

Et nous voici avec une quantité démesurée de frustrés supplémentaires. Cette maxime a poussé Lio à interpréter « Les brunes ne comptent pas pour des prunes » histoire de déculpabiliser les laissés pour compte. Je me souviens de ce « pauvre type » dont la première question fut Est-ce vraiment ta couleur ? Il est vrai que le violet est une couleur naturelle. Il savait que j’allais répondre, non.

Mais au vu de mes sourcils, il voulait réellement savoir si je pouvais être blonde. Monsieur préférait les blondes, puisqu’il est un homme. J’ai préféré me taire et tourner les talons. Je n’avais pas envie d’avouer ma blondeur originelle à celui qui met un intérêt certain dans ce type de considération. À choisir, je préfère un homme avec un cerveau.

Depuis que les hommes préfèrent les blondes, elles sont toutes devenues idiotes à un point tel qu’il est drôle de raconter leurs histoires.

Il est évident que beaucoup d’hommes aiment les brunes, les rousses, les noires, les blanches ou les chauves. D’ailleurs, certains hommes aiment toutes les femmes et c’est tant mieux.

Les femmes audacieuses sont nymphomanes.

Une femme se doit d’être réservée, taciturne, discrète. Il est préférable qu’elle ne donne pas son avis en public et peut-être même pas en famille. Il est évident qu’une femme de caractère qui ose s’affirmer est habituée des échanges. Si elle ose, ce n’est que dans le seul but d’affirmer son addiction au pénis (certains en rêve, en font leur fantasme). Les femmes qui ne s’y intéressent pas, ne s’affichent pas et évitent le contact avec les hommes. Pour rappel, les relations homme-femme ne peuvent être que sexuelles. La fraternité, l’amitié, les affinités n’existent pas.

Il est évident que l’audace chez la femme, tout comme chez l’homme, concerne son indépendance, son ambition professionnelle, son intelligence ou sa créativité. Croire que seul l’homme est doté ou capable de s’affirmer est une croyance ancestrale particulièrement désuète.

Les jeunes sont irrespectueux et les vieux sont cons

Les écarts intergénérationnels sont récurrents. On peut nous resservir la même chanson à chaque quart de siècle, avec les mêmes nuances. C’est lassant. Des cons et des jean-foutre il y en a partout et de tous les âges. Les « c’était mieux de mon temps » et les « vous êtes trop vieux pour comprendre » sont des classiques épuisants.

Si vous vous donnez un peu de peine, il n’est pas rare de rencontrer des personnes exquises et charmantes, cultivées et très à propos dans toutes les poches de la société. La plupart les accueillent avec surprise, car ils ne s’y attendent pas. Et pourtant ils sont bien plus nombreux que ce que les préjugés nous dictent.

Un enfant regarde un vieux monsieur
Une jeune femme montre quelque chose à un homme agé

Les hommes préfèrent les jeunes femmes, car elles sont plus fermes et plus influençables

Dès lors, c’est évident que les couples observant un grand écart d’âge sont décadents. L’autre jour, ma grande fille, 21 ans, me l’affirmait avec véhémence, c’est inadmissible d’après elle et cela devrait être interdit. — Et vive le cadre qui se rétrécit encore ! — Je lui ai alors demandé quel serait l’écart d’âge acceptable. Elle m’a confié deux ans, et encore. Je lui ai énuméré les couples de notre entourage, oncles et tantes, amis, qui affichaient un écart bien plus marqué. Elle en fut abasourdie. 

  • Ces couples sont-ils décadents ? 
  • Non ? 
  • Est-ce que tu considères tonton machin comme un manipulateur avide de viande fraiche ? 
  • Non, c’est plutôt…

et elle n’achève pas sa phrase.

Ces couples s’aiment et se respectent. À force de cadre et de préjugés, on crève l’amour, le vrai.

Les photographes tombent amoureux de leurs modèles

C’est exactement le préjugé que Valérie Gans traite avec subtilité. Comme si tous les métiers d’art qui usent de modèles font de ces derniers des victimes d’agression sexuelle. Il y en a eu, certes. Que les victimes qui ont ce besoin de dénoncer le fassent. C’est important qu’elles soient entendues. Mais il est aussi important de s’éveiller aux mouvances contraires et de considérer que les abus peuvent exister dans tous les camps. Si certaines victimes choisissent de parler, qu’elles le fassent avec droiture et fierté, mais qu’elles abandonnent ses milliers d’échos dissonants qui utilisent ces affaires pour faire du bruit et des vues. Ces échos sont malveillants et destructeurs, et on se laisse tous berner. 

Aujourd’hui, la justice sociale se pratique sur les réseaux sociaux, sans présomption d’innocence. Les conclusions les plus sensationnelles, les plus incroyables s’imposent sans retenue et même avec preuve contraire à l’appui.

Casser de l’homme blanc d’âge mûr revient à casser la femme d’antan ou les noirs de jadis.

Ne faisons pas de nos hommes, de nos pères, de nos maris, les femmes d’hier. Revendiquer la justesse des droits n’est pas écraser l’autre partie, une partie imaginaire qui n’existe de toute façon pas. Des hommes bien il y en a toujours eu et il y en aura toujours, et ils sont bien plus nombreux qu’on veut se le faire croire. À force de les montrer du doigt, il est évident qu’ils réagissent et se défendent. Certains le font mal parce qu’ils sont ahuris, dépourvus face à ce manque de bon sens et d’humanité.

Valérie Gans est assise dans un champ de tulipes avec son livre a coté d'elle
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Malédicte

Quand on croit en l’amour, plus fort que tout, comme le seul principe vrai, authentique pour réunir les hommes ; quand on est architecte, qu’on dompte avec les arts le gout du beau et les techniques, le sens de la précision et de la perfection ; quand la société vous bascule du bien au mal, du bonheur aux coups bas et ne vous fait aucune fleur ; quand on vit d’écriture comme un seul moyen de poser ses émotions et de laisser vibrer leur sensibilité, leur fragilité ; on déboule un jour ou l’autre, le cœur chargé de mots, de phrases, d’histoires à partager dans une maison d’édition.
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